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Charlotte Godziewski 
Diététique à l’hôpital de Dhulikhel
  

25.08.13
  

Je me rappelle la première fois que j’ai attéri à l’aéroport de Kathmandu. La fatigue du voyage avait pris le dessus sur toutes les appréhensions que j’avais eues la veille de mon départ. Tout s’est déroulé parfaitement: Visa, bagages, et Udaya, un proche de NepaliMed, qui m’attendait déjà à l’arrivée, tout était très bien organisé. C’était la première fois que je quittais l’Europe, seule, de surcroît, et pour une durée de plusieurs mois! Rien que le trajet de l’aéroport jusqu’à Bishal Nagar, le quartier de Kathmandu où se trouvait la maison d’Udaya, a été extrêmement dépaysant: le traffic, les maisons et magasins sur le bord de la route, les routes elles-mêmes... Heureusement que j’avais reçu un accueil des plus chaleureux de la part d’Udaya et des membres de sa famille, cela m’a permis de mieux me sentir à l’aise dès le début!
Le premier mois a été un mois de transition et adaptation. Au début, Udaya m’accompagnait partout en scooter, pour me faire visiter des temples, des stupas etc. Je suis arrivée justement au moment où on célébrait la déesse vivante, Kumari: Pendant 3 jours, les alentours de Durbar Square étaient bondés, tout le monde attendait impatiemment que la déesse sorte de son palais, pour la seule fois de l’année.
Petit à petit, Udaya m’a proposé d’essayer de me déplacer seule, en m’expliquant en détail quel bus prendre et comment m’orienter. C’est incoryable comme, dans un pays si différent, une banalité comme “prendre un bus” devient toute une aventure! Vers le milieu du mois, je suis partie visiter le sud pays: Lumbini, le lieu de naissance de Buddha, et Chitwan, le parc national, à savoir, la jungle. Parallèlement à toutes ces activités, je m’acharnais à apprendre la langue. Beaucoup de népalis savent parler anglais, mais les gens plus âgés, ou ceux qui ne sont pas allés à l’école ne parlent que le népali, et leur autre langue respective (Newari, Tamang... Il y a beaucoup de langues différentes au Népal, en fonction des différentes éthnies, mais la langue commune reste le nepali). Dans tous les cas, pour mieux s’intégrer, il faut faire l’effort d’apprendre la langue nationale, même si l’anglais est également parlé.
Les vacances se sont ensuite achevées, et je suis allée m’installer à Dhulikhel, dans le guesthouse de l’hôpital. Je dois avouer que cet endroit était glacial. Plus l’hiver approchait, plus il devenait difficile de tolérer la douche froide, parfois tiède tous les matins. Mais la bonne ambiance qu’apportaient les autres volontaires présents redonnait à la situation un caractère joyeux. Ce n’est qu’après plusieurs mois, une fois retrouvée seule, sans autres volontaires, que j’ai décidé de déménager. Je suis arrivée à Dhulikhel exactement au moment des fêtes, Dhasain avait lieu. Le tout premier soir déjà, le concièrge du guesthouse a invité tous les volontaires chez lui, dans son village, c’était la fête partout, les grandes balançoires étaient installées, la musique résonnait et les gens riaient. Nous étions un petit groupe de volontaires allemands, israeli et luxembourgeois et nous nous sommes vus invités dans pleins de familles différentes que moi, en tant que nouvelle arrivante, je connaissais à peine. J’ai trouvé cela très différent de l’Europe: les gens vous invitent chez eux même si vous ne les connaissez presque pas: évidemment, chaque connaissance ne se développe pas en amitié profonde, mais cela facilite tellement la vie pour quelqu’un qui voyage seul et qui ne connait personne, c’est vraiment une sensation agréable et ça facilite l’intégration.
Et puis le travail a commencé. Là aussi, les gens étaient très aimables avec moi, les infirmières qui m’ont guidée dans l’hôpital et avec lesquelles j’ai le plus travaillé sont devenues mes amies. Au début, quand j’y pense avec du recul, ça a été un peu chaotique: Je ne connaissais rien à leur façon de travailler, rien aux disponibilités des ressources, les méthodes de travail etc. Au début, je pense que j’ai un peu trop essayé de calquer le modèle européen, qui est difficile à mettre en place dans un endroit comme le Nepal. Mais, en même temps, c’était mon seul repère, et il fallait bien que je commence à travailler! C’était surtout l’amélioration de l’hygiène en cuisine qui a posé – et pose toujours – problème. Premièrement, les employés de la cuisine ne peuvent pas s’imaginer la représentation que je me fais d’une cuisine de collectivité: ils ont des normes tout à fait différentes!! Par la suite, le chef de cuisine a fait un stage d’hygiène en Corée. A son retour, il comprenait ce dont je n’avais cessé de parler et voyait bien les points à améliorer. Lui, en tant que chef de cuisine népali, était bien mieux placé qu’une jeune européenne pour implémenter les changements nécessaires. Et pourtant, même avec la meilleure volonté, il y a des choses impossibles à changer, dû au manque de personnel par rapport aux cuisines d’hôpitaux européens, dû aux infrastructures inadéquates, et même au mentalités des gens, spécialement les familles de patients peu éduquées: ce n’est pas dans leurs habitudes de patienter dans une file s’ils peuvent tout simplement pénétrer dans la cuisine et aller se chercher se dont ils ont besoin eux-même, pour citer un exemple. Au bout d’un moment, j’ai dû renonçer à vouloir absolument une cuisine tiptop aux normes HACCP et il fallu viser des petites choses, petit à petit.
Un autre exemple de mes débuts un peu hazardeux a été le projet pour instaurer un régime diabétique. Le régime diabétique en lui-même a fonctionné, et j’en suis très fière, mais la manière de le distribuer aux patients visés a été modifiée: En soi, le personnel cuisine pour les patients, et deux d’entre eux arpentent les couloirs avec un chariot transportant la nourriture. La famille des patients sortent des chambres pour aller chercher un plat, qui est servi sur le moment, à la louche. Ma question a donc été: comment informer les gens de la cuisine quant aux patients sensés recevoir le plat diabétique? Dans mon esprit “systématique-bien-organisé”, je me suis dit que c’était aux infirmières, tôt le matin, de donner une liste en cuisine avec les numéros de lits occupés par les patients diabétiques. Il va sans dire que cela n’a jamais fonctionné. A la place de ça, c’était la famille des patients qui allait chercher le plateau en cuisine, car, surtout au début, il fallait peser les quantités de riz etc. Cela a été la deuxième solution, elle a fonctionné une semaine, maximum deux semaines. Finalement, quelle a été la méthode la mieux adaptée dans le contexte népali: Rien n’a changé, excepté que, quand la famille des patients diabétique sort pour chercher un plateau dans le couloir, elle informe le personnel, qui prépare le plateau spécial sur le tas, en estimant la quantité de riz grâce à des mesures ménagères. Maintenant qu’ils savent bien les quantités, cela ne pose plus trop de problème (la vaisselle népalie comporte un petit bol qui, par chance, représente toujours 200g de riz cuit, c’est donc un mesure facile) Voilà pour vous donner des exemples: il y a ce qu’on aimerait mettre en place, et puis il y a le résultat après adaptation au contexte. Finalement, les deux sont plus ou moins pareils, mais il faut faire des compromis!
J’aimerais également parler d’un jeune homme qui a été admis aux soins intensifs pour un encéphalite, car je pense que c’est un bel exemple de ce que les gens sont capables de faire dans un pays où l’organisation est clairement peu présente, mais où les gens font parfois preuve bien plus de dévotion et d’humanité qu’allieurs. Sajan avait 21 ans seulement quand il a été admis à Dhulikhel Hospital. Ses parents avaient déjà perdu un autre fils, et il était le seul qui restait. Son encéphalite a mené à beaucoup de complications, si bien qu’il est tombé dans le coma pendant longtemps, il était ventilé par trachéostomie et alimenté par sonde naso-gastrique. Après deux mois et demi aux soins intensifs, il ne pesait plus qu’une trentaine de kilos. L’alimentation par sonde au Népal se fait de manière “improvisée”. Ils ne disposent pas de solutions toute prêtes, comme nous en Europe, mais mixent les aliments dans la cuisine avant de les injecter à la seringue dans la sonde. J’aimerais mettre l’accent sur le fait que cette pratique est peu hygiénique, surtout avec l’utilisation d’oeufs frais non irradiés crus et autres aliments qui, au final, resprésentent un parfait bouillon de culture microbiologique prêt à se développer dans les recoins des tubulures de la sonde naso- gastrique d’un patient déjà immunodéprimé à la base. Il a donc été important de mobiliser tout le monde: personnel de cuisine, parents, infirmières, pour mettre en place une alimentation complète tout en diminuant le risque de surinfection. Au début, les médecins pensaient qu’il n’allait fort probablement pas s’en sortir. Mais tout le monde, à l’hôpital, le connaissait et toutes les personnes concernées portaient une attention toute particulière à son égard: les médecins, kinés, infirmières, le personnel de cuisine, tout le monde se donnait beaucoup de peine pour le sauver. Sa sonde a ensuite été remplaçée pour une gastrostomie et, petit à petit, grâce aux efforts de tout le monde, il commenca à reprendre des forces. Finalement, il s’en est sorti! Je suis fière de penser que la nutrition a joué grand rôle dans sa guérison: Une fois que les médecins avaient traité les infections et terminé la prise en charge médicale, c’était au tour des kinés et de la diététicienne de s’investir pour le remettre sur pieds, littéralement.
Bien que la grande majorité des médecins connaît très bien l’importance de la nutrition comme science nouvelle du domaine paramédical, d’autres restaient à convaincre, et il me semble que c’est à partir de ce patient-là que j’ai eu la reconnaissance professionnelle de leur part.
Comme beaucoup d’informations concernant le travail ont déjà été données dans mes précedents rapports, j’aimerais également parler de mon temps libre, parce que, durant ces 7 mois au Népal, il n’y avait pas uniquement le travail, mais toute une vie quotidienne autour. J’ai fêté Noël avec mes amis, volontaires et népalis, nous avions organisé un dîner dans un restaurant à Dhulikhel et, le 25., nous sommes allés à la messe dans l’église d’un ami népali chrétien, à Bhaktapur. Ca avait beau être chrétien, c’était tout de même dépaysant! La façon dont les népalis chrétiens célébrent Noël et très différente de la notre. Il y avait beaucoup d’animation dans l’église, des danses, des chants, des mini pièces de théâtre, et même des jeux avec les fidèles! Un repas était même organisé par l’église, un bon Dal Bhat accompagné du succulent yaourt de Bhaktapur.
De temps en temps, nous sortions à Thamel (le quartier touristique de Kathmandu). Il y avait également de soirées organisées par les étudiants, ou bien nous nous retrouvions dans une petite taverne de Dhulikhel. Je m’étais fait pas mal d’amis parmi les internes en médecine et les infirmières, et il y avait également toujours des volontaires ou des expatriés présents. Une fois, nous fêtions le départ d’un étudiant en médecine allemand, et nous sommes sorti dans des cafés à Kathmandu. Je n’étais pas tombée malade une seule fois jusqu’à ce moment, où, lors de cette soirée quelque peu arrosée, j’ai été contaminée par un parasite, et j’ai attrapé une amibiase. Le lendemain soir, des violentes crampes m’ont prise, accompagnées de vomissements, diharrées...bref, la totale. Mon premier réflex a été d’appeler mon amie Gayatri, l’infirmière responsable des soins intensifs. Je suis d’abord allée chez elle, mais, finalement, la douleur était si violente qu’elle m’a emmenée aux urgences. Le soir même, j’étais admise à l’hôpital. C’était mon lieu de travail sous une autre perspective! Je dois dire que le personnel était au petit soins pour moi, cela m’a beaucoup réconforté. C’est difficile d’être malade loin de chez soi (en plus une maladie exotique), surtout quand on voit tous les autres patients constamment entourés de toute famille, comme c’est le cas au Nepal. C’est vraiment très difficile. Ma famille était évidemment hyper inquiète, et skype ne fonctionnait pas. Heureusement que j’étais bien soignée. J’avoue, ce n’est pas la même chose que d’être soignée dans un hôpital luxembourgeois, mais j’avais une confiance absolue en mon médecin, car je savais qu’il est un excellent gastroentérologue. Au bout de deux jours, j’étais sortie. Malheureusement, ce genre d’infections est tenace, et j’ai dû recommencer un traitement quelques semaines après, mais finalement, tout s’est arrangé.
C’était une des deux seules vraies mésaventures qui me sont arrivées. Sinon, j’ai passé beaucoup de bon temps avec mes amis: Piscine, football, sorties, fêtes religieuses, même parapente et saut à l’élastique! Evidemment, une fois qu’on habite quelque part, ce n’est pas tous les jours l’aventure non plus: une routine s’installe, comme partout allieurs. Mais je pense que j’ai quand-même bien profité de ces 7 mois en faisant le plus d’activités possible.
Autre mésaventure: J’avais pris congé lorsque ma mère est venue me rendre visite, accompagnée de quelques uns de ses amis. Ils ont décidé d’aller à Pokhara pendant qu’une amie et moi partions faire un petit trekking. Les deux premiers jours se déroulèrent à merveille, quel beau paysage! Le troisième jour, malheureusement, nous avons été pris dans un orage. Nous étions à 3000m, à 3h du dernier village et à 30 minutes du prochain. Sentant venir la tempête, nous avions accéléré le pas, mais nous n’avions pas réussi à nous réfugier à temps lorsque les éclairs ont commencé à jaillir. Nous nous sommes blottis sous un rocher et avons attendus près d’une heure et demie, le temps que l’orage se calme. Un orage en montagne, ce n’est pas la même chose qu’un orage normal. L’air était éléctrique, le ciel mauve et les éclairs frappaient juste devant nous, avec un tonnerre qui résonne plus fort dans la montagne. L’orage a du mal à continuer sa route et reste coincé dans les montagnes, ce qui le fait durer beaucoup plus longtemps que d’habitude. Il fallait faire preuve de sang froid et de patience. Nos chaussures, chaussettes et habits étaient trempés, et c’est dans un piteux état que nous sommes finalement arrivées à la première auberge que nous avons rencontrée.
Arrivée au bout de l’expérience népalie, j’étais triste de rentrer au Luxembourg et je pensais déjà à mon retour. Les gens de l’hôpital avaient préparé un repas de fête en mon honneur, et nous nous sommes également retrouvés entre amis le soir.
C’était très émouvant, mais je savais déjà que j’allais revenir, cela rendait la situation moins triste.
Le bilan de tout ce temps au Nepal a été très positif! J’ai fait tellement de magnifiques rencontres, et j’ai tellement appris. C’est également lors de ce genre d’expériences qu’on apprend beaucoup mieux à se connaître soi-même, parce qu’on consacre davantage de temps à réfléchir sur soi. Apprendre à vivre plus modestement (pas de chauffage, faire son linge à la main, ou bien ne pas toujours avoir internet à sa disposition,...) permet de mieux apprécier le comfort qu’on a à la maison. On réalise quelle est la différence entre comfort et besoin, et on sait qu’on est capable de vivre heureux en réduisant ses comforts, seulement si les conditions l’exigent, évidemment!
Et maintenant, je suis de retour, je viens de d’arriver il y a 2 jours et je suis installée dans un chouette appartement à Dhulikhel. Quitter ma famille et mes amis d’Europe une seconde fois, et pour un an cette fois-ci, m’a vraiment fendu le coeur, et j’avoue que j’étais triste de repartir... triste sur le coup. Mais une fois arrivée, mes amis m’attendaient, et j’ai retrouvé tout ce qui m’a fait aimer le Népal la première fois! Le travail va commencer d’ici une semaine, cette fois-ci, ils engagent une jeune fille pour me succéder, et mon job sera de la former davantage. J’ai vraiment hâte de commencer cette année à Dhulikhel!